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malheurs ? ...
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Trilby
-oui, oui, dit Jeannie, avec l'accent du désespoir en
repoussant le bateau du côté d'Arroqhar. Oui, c'est moi qui
l'ai perdu, qui l'ai perdu pour toujours ! ...
-vous, Jeannie, vous si charmante et si bonne !
Le misérable enfant ! Combien il a dû être coupable pour
mériter votre haine ! ...
-ma haine ! Reprit Jeannie en laissant tomber sa main sur
la rame et sa tête sur sa main.
Dieu seul peut savoir combien je l'aimais ! ...
-tu l'aimais ! S'écria Trilby en couvrant ses bras de baisers
(car ce voyageur mystérieux était Trilby lui-même, et je
suis fâché d'avouer que si mon lecteur trouve quelque plaisir
à cette explication, ce n'est probablement pas celui de la
surprise ! ), tu l'aimais ! Ah ! Répète que tu l'aimais ! Ose le
dire à moi, le dire pour moi, car ta résolution décidera de ma
perte ou de mon bonheur ! Accueille-moi, Jeannie, comme
un ami, comme un amant, comme ton esclave, comme ton
hôte, comme tu accueillais du moins ce passager inconnu.
Ne refuse pas à Trilby un asile secret dans ta chaumière ! ...
et en parlant ainsi, le follet s'était dépouillé du
travestissement bizarre qu'il avait emprunté la veille aux
Shoupeltins du Shetland. Il abandonnait au cours de la
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Trilby
marée ses cheveux de chanvre et sa barbe de mousse
blanche, son collier varié d'algue et de criste marine qui se
rattachait d'espace en espace à des coquillages de toutes
couleurs, et sa ceinture enlevée à l'écorce argentée du
bouleau. Ce n'était plus que l'esprit vagabond du foyer, mais
l'obscurité prêtait à son aspect quelque chose de vague qui
ne rappelait que trop à Jeannie les prestiges singuliers de ses
derniers rêves, les séductions de cet amant dangereux du
sommeil qui occupait ses nuits d'illusions si charmantes et si
redoutées, et le tableau mystérieux de la galerie du
monastère.
-oui, ma Jeannie, murmurait-il d'une voix douce mais
faible comme celle de l'air caressant du matin quand il
soupire sur le lac ; rends-moi le foyer d'où je pouvais
t'entendre et te voir, le coin modeste de la cendre que tu
agitais le soir pour réveiller une étincelle, le tissu aux
mailles invisibles qui court sous les vieux lambris, et qui me
prêtait un hamac flottant dans les nuits tièdes de l'été. Ah !
S'il le faut, Jeannie, je ne t'importunerai plus de mes
caresses, je ne te dirai plus que je t'aime, je n'effleurerai plus
ta robe, même quand elle cédera en volant vers moi au
courant de la flamme et de l'air. Si je me permets de la
toucher une seule fois, ce sera pour l'éloigner du feu près d'y
atteindre, quand tu t'endormiras en filant. Et je te dirai plus,
Jeannie, car je vois que mes prières ne peuvent te décider,
accorde-moi pour le moins une petite place dans l'étable ; je
conçois encore un peu de bonheur dans cette pensée, je
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Trilby
baiserai la laine de ton mouton, parce que je sais que tu
aimes à la rouler autour de tes doigts ; je tresserai les fleurs
les plus parfumées de la crêche pour lui en faire des
guirlandes, et lorsque tu rempliras l'aire d'une nouvelle
litière de paille fraîche, je la presserai avec plus d'orgueil et
de délices que les riches tapis des rois ; je te nommerai tout
bas : Jeannie, Jeannie ! ...
et personne ne m'entendra, sois-en sûre, pas même
l'insecte monotone qui frappe dans la muraille à intervalles
mesurés, et dont l'horloge de mort interrompt seule le
silence de la nuit. Tout ce que je veux, c'est d'être là ; et de
respirer un air qui touche à l'air que tu respires ; un air où tu
as passé, qui a participé de ton souffle, qui a circulé entre tes
lèvres, qui a été pénétré par tes regards, qui t'aurait caressée
avec tendresse si la nature inanimée jouissait des privilèges
de la nôtre, si elle avait du sentiment et de l'amour !
Jeannie s'aperçut qu'elle s'était trop éloignée du rivage,
mais Trilby comprit son inquiétude et se hâta de la rassurer
en se réfugiant à la pointe du bateau. « va, Jeannie, lui dit-il,
regagne sans moi les rives d'Argail où je ne puis pénétrer
sans la permission que tu me refuses. Abandonne le pauvre
Trilby sur une terre d'exil pour y vivre condamné à la
douleur éternelle de ta perte ; rien ne lui coûtera si tu laisses
tomber sur lui un regard d'adieu ! Malheureux ! Que la nuit
est profonde ! » un feu follet brilla sur le lac.
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Trilby
-le voilà, dit Trilby, mon dieu, je vous remercie ! J'aurais
accepté votre malédiction à ce prix !
-ce n'est pas ma faute, dit Jeannie, je ne m'attendais point,
Trilby, à cette lumière étrange, et si mes yeux ont rencontré
les vôtres... si vous avez cru y lire l'expression d'un
consentement dont, en vérité, je ne prévoyais pas les
conséquences, vous le savez, l'arrêt du redoutable Ronald
porte une autre condition. Il faut que Dougal lui-même vous
envoie à la chaumière. Et d'ailleurs votre bonheur même
n'est-il pas intéressé à son refus et au mien ? Vous êtes
aimé, Trilby, vous êtes adoré des nobles dames d'Argail, et
vous devez avoir trouvé dans leurs palais...
-les palais des dames d'Argail ! Reprit vivement Trilby.
Oh ! Depuis que j'ai quitté la chaumière de Dougal, quoique
ce fût au commencement de la plus mauvaise saison de
l'année, mon pied n'a pas foulé le seuil de la demeure de
l'homme ; je n'ai pas ranimé mes doigts engourdis à la
flamme d'un foyer pétillant. J'ai eu froid, Jeannie, et
combien de fois, las de grelotter au bord du lac, entre les
branches des arbustes desséchés qui plient sous le poids des
frimas, je me suis élevé en bondissant, pour réveiller un
reste de chaleur dans mes membres transis, jusqu'au sommet
des montagnes ! Combien de fois je me suis enveloppé dans
les neiges nouvellement tombées, et roulé dans les
avalanches, mais en les dirigeant de manière à ne pas nuire à
une construction, à ne pas compromettre l'espérance d'une
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Trilby
culture, à ne pas offenser un être aimé. L'autre jour, je vis en
courant une pierre sur laquelle un fils exilé avait écrit le
nom de sa mère ; ému, je m'empressai de détourner
l'horrible fléau, et je me précipitai avec lui dans un abîme de
glace où il n'a jamais respiré un insecte. -seulement, si le
cormoran furieux de trouver le golfe emprisonné sous une
muraille de glace qui lui refuse le tribut de sa pêche
accoutumée, le traversait en criant d'impatience pour aller
ravir une proie plus facile au Firth de Clyde ou au Sund du
Jura, je gagnais, tout joyeux, le nid escarpé de l'oiseau
voyageur, et sans autre inquiétude que de le voir abréger la
durée de son absence, je me réchauffais entre ses petits de
l'année, trop jeunes encore pour prendre part à des
expéditions de mer, et qui bientôt familiarisés avec leur hôte
clandestin, car je n'ai jamais manqué de leur porter quelque
présent, s'écartaient à mon approche pour me laisser une
petite place parmi eux au milieu de leur lit de duvet. Ou
bien, à l'imitation du mulot industrieux qui se creuse une
habitation souterraine pour passer l'hiver, j'enlevais avec
soin la glace et la neige amoncelées dans un petit coin de la
montagne qui devait être exposé le lendemain aux premiers
rayons du soleil levant, je soulevais avec précaution le tapis
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